"Vivre Imprimée"
C'est en imaginant le témoignage de la version que je découvrais de moi-même dans les éditions aléatoires que j'ai écrit ce texte.
Extraits de journal d’une femme imprimée :
« La matière fine de l’encre et l’absence de couleur me permettent de glisser d’une page à l’autre.
Mon territoire a beaucoup d’extrémités, de fins. J’en rencontre à chaque page.
Mais en me fondant dans l’obscurité d’un plis, je parviens toujours à m’échapper vers des versos inconnus. »
« Je me promène comme ça souvent, car il n’y a rien d’autre à faire quand on est imprimé. Le temps existe à peine. Et d’ailleurs, j’existe pour toujours maintenant, qu’on me regarde ou non. »
« Là, sur un banc, il y a un livre contenant une image du banc et un morceau de moi. Je suis surprise de me trouver là. Mais je ne dis rien. C’est le genre de chose qui arrive, je me dis. »
« Quand le cahier se referme, mes dimensions se rapprochent, se relient. Je passe d’un sol à un banc, en l’air puis à terre, et inversement, selon l’élan du vent ou celui du lecteur. »
« Mon existence est morcelée en pages qui en contiennent d’autres, qui en contiennent d’autres et qui en contiennent d’autres. »
« L’espace est souple le long du papier. »
« Une partie de ma silhouette se prélasse, pendant que ma tête lit sur une chaise, alors que mon bras prend une autre direction. Je me disperse. »
« Les autres éléments de l’image s’enroulent parfois autour de moi, couvrent mes yeux, pour jouer ou me cacher. »
« Le micro n’amplifie pas ma voix car je n’en ai pas. Je lui rapproche ma bouche. Je reste un moment, là. Près de lui. Je fais semblant de dire quelque chose en mettant ma bouche, pour lui faire plaisir. L’image est importante pour lui. »
« À la fin du livret, on est jamais sûr de rien, ni du début, ni de la fin. »
Puis, un lecteur répond, au crayon, sur une des pages libres du livret en question :
J’ouvre le livret noir et blanc.
Le frottement de mes doigts donne au papier un chant sourd.
J’entends l’encre crisser comme un millier de perles invisibles.
Quand je tourne les pages, une forme semble vouloir se dégager de la friction du papier et de l’encre noire.
Ses contours ne sont pas évidents à mes yeux.
Je reconnais certains détails.
Ils appartiennent à un corps, ici ; puis à un meuble, là.
Je tourne les pages et regarde les images s’enfoncer ensemble au centre, là où l’obscurité les laissent glisser sur d’autres pages.
Le temps n’existe plus.
Je promène mon regard à l’intérieur et tout autour des images.
Je ne sais jamais où je suis.
Quand le cahier se referme, les dimensions se rapprochent,
Se relient, se touchent, se confondent.